dimanche 27 mars 2016

3e projet de LOI EL KHROMI : ce qu’il y avait, ce qui reste… RETRAIT !

Le projet de loi El Khomri présenté en conseil des ministres le 24 mars passe à l’Assemblée Nationale. Au de-là des mesures présentées dans la presse, ce sont les principes mêmes sur lesquels se fondent le droit du travail que ce projet de loi entend détruire. Et le statut de la Fonction publique est aussi menacé dans ses fondements mêmes.
Nous publions ici l’analyse qu’en fait Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail.

 

3e projet de LOI EL KHROMI : ce qu’il y avait, ce qui reste… RETRAIT !

 

Après un premier avant-projet El Khomri 1, qui légalisait les nouveaux esclaves enchaînés aux plateformes informatiques et supprimait l’autorisation de l’inspection du travail pour pouvoir faire travailler les autres 60 h par semaine, après un deuxième projet El Khomri 2 qui commençait à apparaître pour ce qu’il était pour une fraction de plus en plus large de la population, voici une promesse amidonnée de quelques changements dans un troisième projet El Khomri 3 à venir qui seraient des « avancées » pour certains et d’inacceptables « reculs » pour leurs comparses patronaux dont les prouesses comédiennes sont fruit d’une si longue pratique.
En une phrase (pour ceux qui me disent que trop long on lit pas) ce qu’on a là, c’est une espérance d’augmentation infinitésimale de la longueur des chaînes créées par la loi. Ce qu’on veut, comme l’écrivait Wolinski en mai 68 en dessinant une chèvre à qui on proposait une augmentation de la longueur de sa corde, c’est aller brouter la « chienlit » dans la montagne.

1.A. Mesure non exhaustive de la longueur des chaînes issues du projet de loi El Khomri2

 

1/ Destruction des bases fondamentales du droit du travail : confusion avec le droit civil et inversion de la hiérarchie des normes

 

Le droit du travail est celui qui régit les relations de travail entre les employeurs et leurs salariés. Plus d’un siècle et demi de luttes en ont fait la contrepartie à la toute puissance de l’employeur et l’ont dégagé du principe essentiel du droit civil qui est l’établissement de règles entre deux parties égales. Les salariés qui sont eux juridiquement et pratiquement subordonnés à leur employeur, peuvent grâce au droit du travail limiter l’inégalité en s’appuyant sur les bases suivantes : une loi égale pour tous ; et, à grand trait, un accord collectif dans une branche professionnelle qui peut faire mieux que la loi, un accord d’entreprise mieux qu’un accord de branche et le contrat de travail individuel mieux que l’accord d’entreprise.
La loi Macron d’août 2015 avait déjà volatilisé cette architecture en décrétant (nouvel article 2064 du Code civil) que, désormais, dans le règlement de leurs différends, un employeur et un salarié étaient à égalité et qu’en conséquence ils pouvaient, sans que le consentement du salarié soit forcé, décider de le régler par la signature d’un « libre » accord entre eux et que la signature entraînerait l’impossibilité pour le salarié de saisir les prud’hommes pour que justice lui soit rendue.
Le projet de loi El Khomri 2, en intégrant les dispositions du rapport Badinter dans un préambule au code du travail censé inscrire les grands principes directeurs du nouveau droit, achève le travail de destruction.

- L’article 1 dit en effet que les libertés fondamentales peuvent être limitées pour le bon fonctionnement de l’entreprise. L’ensemble des articles n’évoque jamais « les » salariés mais « le » salarié, voire « la » « personne », façon de bien ancrer la fin des droits collectifs et la dissolution progressive du droit du travail dans le code civil. S’il est affirmé que les discriminations sont interdites, seule celle concernant les « convictions religieuses » est inscrite dans les principes. (Rappelons que la liste actuelle inclut en outre : l’origine, les opinions, l’âge, le sexe, l’état de santé, le handicap physique, les mœurs, la situation de famille, la grossesse, les caractéristiques génétiques, l’appartenance ou la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, les opinions politiques, les activités syndicales ou mutualistes, l’apparence physique, le nom de famille). Pire, sitôt rappelée, la liberté de religion peut être réduite si cela est justifié « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ». Comment ne pas voir là l’incessante croisade contre les personnes de religion musulmane.
Après avoir ainsi réduit les libertés fondamentales, on apprend que le pouvoir de l’employeur n’a d’autres limites que celles-ci, là où le code du travail actuel affirme qu’il faut adapter le travail à la personne du salarié et non l’inverse. En ajoutant à la formulation actuelle que le contrat de travail « se forme de bonne foi » le projet de loi recopie l’article du code civil et ajoute une couche à la construction de la grande fiction d’une égalité entre l’employeur et le salarié. Il en va de même pour les formulations qui remplacent des droits quantitatifs par des appréciations générales qui pourraient être discutées de gré à gré : période d’essai d’une durée…« raisonnable » (CPE souvenir souvenir), préavis de licenciement également d’une durée « raisonnable ». Encore plus clair, le contrat de travail pourrait être rompu « d’un commun accord ». Volontaires pour être virés levez-le doigt. Quant à la démission elle aussi relève de la liberté, le salarié pouvant désormais « librement » mettre fin au contrat à durée indéterminée.

- Le deuxième pilier du droit du travail (retenue de la disposition la plus favorable au salarié) est ainsi détruit : «  La loi détermine les conditions et limites dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent prévoir des normes différentes de celles résultant des lois et règlements ainsi que des conventions de portée plus large » et « En cas de conflit de normes, la plus favorable s’applique aux salariés si la loi n’en dispose pas autrement » et enfin « Les clauses d’une convention ou d’un accord collectif s’appliquent aux contrats de travail. Les stipulations plus favorables du contrat de travail prévalent si la loi n’en dispose pas autrement ». La loi El Khomri applique ces nouveaux principes en réécrivant toute la partie du code sur le temps de travail en transférant sur les accords d’entreprise ce qui relevait de la loi, permettant que prospèrent autant de lois que d’entreprises, permettant également que des accords d’entreprise plus défavorables prévalent sur les accords de branche.

2/ Reculs sur le temps de travail

 

- 21/ Définition du temps de travail (habillage, pauses, restauration, astreintes, équivalences) et de la semaine
- 22/ Définition du travail de nuit : 6h/5h 22h/23h pour le personnel navigant de nuit
- 23/ Durée de travail hebdomadaire : (normal/légal). HS (10%) modulation sur 3 ans
- 24/ Durées maximales : 10h/12h ; 44h/12 46/16 ; 60h
- 25/ Apprentis
- 26/ Conventions de forfait-jours, étendues ; droit à la déconnexion (on amuse la galerie et on institutionnalise le non décompte du temps réel de travail) ; télétravail (retour au travail à domicile et à la tâche du XIXème siècle sans les garde-fous instaurés depuis dans le code du travail)
- 27/ Repos journalier de 11h continu (forfait-jours et astreintes)
- 28/ Horaires individualisés : contrôle RP et autorisation IT en absence RP supprimés
- 29/ Temps partiel : prévenance en cas de modification d’horaires
- 210/ Congés payés  : dates ; fractionnement ; possibilité de différer la 5ème semaine
- 211/ Congés divers : possibilité de reculs par accord collectif
- 212/ Congés divers : suppression de l’avis conforme des RP pour le refus de congé de formation économique, sociale et syndicale

3/ Reculs sur les licenciements

 

- 31/ Licenciements pour motif économique  : définition, dessaisissement des prud’hommes
- 32/ Licenciement pour motif personnel suite à refus d’application au CT des accords « offensifs »
- 33/ Licenciements possibles avant transferts d’activité
- 34/ Plafonds pour les indemnités prud’homales


4/ Reculs sur les salaires et conventions collectives

 


- 41/ Périodicité du salaire
- 42/ Dématérialisation du bulletin de paie)en avant pour le travail au noir)
- 43/ Définition du salaire minimum
- 44/ Absence de référence aux salaires minima conventionnels
- 45/ Non application des conventions collectives sur les salaires (portage salarial, groupement d’employeurs)
- 46/ Fonte du nombre de conventions collectives (700/200/100) ; conséquences
- 47/ Accords collectifs à durée déterminée, remise en cause systématique tous les cinq ans
- 48/ Perte des avantages individuels acquis en cas de changement de convention

5/Reculs sur les représentants du personnel et les IRP

 

- 51/ Suppression des heures de délégation pour les délégués mandatés (ceux que VALLS instaureraient pour permettre le forfait-jours dans les petites entreprises !)
- 52/ Instauration d’un délai pour l’accord de la commission de branche pour les délégués élus non mandatés
- 53/ Articulation accords de groupe/accords d’entreprise du groupe ; accords d’entreprise/accords d’établissement
- 54/ Referendums pour contourner les organisations syndicales majoritaires
- 54/ Représentativité du Medef favorisée
- 55/ Mise à la porte des syndicats des Bourses du travail facilitée
- 56/ Réduction du nombre et de la qualité des consultations des RP (DP/CE/CHSCT)
- 57/ Expertise CHSCT  : prise en charge par le CE en cas d’annulation par le juge de la décision du CHSCT
- 58/ Contrôle des RP et de leurs mandats par l’employeur par le biais d’entretiens individuels et de carotte VAE

6/Reculs sur la médecine du travail

 

- 61/ Suppression de la visite médicale d’embauche, réservée aux seuls salariés affectés sur des postes présentant des risques particuliers
- 62/ Suppression de la périodicité des visites médicales
- 63/ Possibilité de faire faire les visites médicales et les études de poste par un non médecin
- 64/ Extension des causes d’inaptitude (état de santé du salarié faisant obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ; « risques d’atteinte » au lieu d’ « atteinte » à la sécurité des tiers)
- 65/ Restriction des possibilités de reclassement : restriction au « poste » de la notion d’ « emploi » ; disparition des « mutations » dans les mesures que le médecin du travail peut préconiser pour un reclassement ; restriction des reclassements aux postes existants ; transformation de la formule « apte » en « n’est pas inapte » pour les CDD
- 66/ Obligation de reclassement présumée satisfaite si l’employeur a proposé un poste


7/ Reculs sur l’inspection du travail

 


- 71/ Suppression du recours contre la décision du médecin du travail devant l’inspecteur du travail assisté du médecin inspecteur du travail
- 72/ Suppression de plusieurs attributions des inspecteurs du travail relatives au temps de travail (décisions, transmission de rapports)

8/ Retour aux privilèges de l’ancien Régime

 

- 81/ Création d’un service de l’administration du travail réservé aux employeurs, service qui plus est sommé par la loi de leur répondre dans un délai « raisonnable »
- 82/ Obligation pour l’administration du travail de délivrer, sur demande, un document opposable à la même administration, certifiant que l’entreprise est en règle et donc exempte de sanctions financières sur leurs obligations en matière d’égalité professionnelle homme/femmes et d’obligation d’embauche de travailleurs handicapés.

9/ Légalisation des pratiques arbitraires contre les chômeurs récemment sanctionnées par le conseil d’État

 

10/ Compte Personnel d’Activité/livret ouvrier

 

Ce compte n’est pas qu’un incroyable fichage, un immense livret ouvrier numérique, traitement automatisé de données personnelles nationalement centralisé par la Caisse des dépôts et consignations.
Derrière la grosse opération de propagande, les deux objectifs visés par le patronat est parfaitement résumé par le rapport de France stratégie (ancien commissariat au plan) rédigé remis au gouvernement par le DRH d’Orange :
Le premier objectif est idéologique, servir de leurre anxiolytique : il doit en effet il doit « réduire la crainte des mutations économiques » et « permettre que des réformes économiques soient moins anxiogènes et donc mieux acceptées ».
Le deuxième objectif est ni plus ni moins qu’un changement de société : « il conduira inévitablement à repenser… l’organisation de la protection sociale »  ; c’est un « projet de société »  ; « Le compte personnel d’activité est porteur d’une transformation en profondeur de notre modèle social »  ; il doit permettre de « dépasser le paradigme qui a fondé le développement de notre protection sociale : l’échange de la subordination juridique dans le contrat de travail contre la garantie de droits collectifs ».
Le CPA, prévu pour ficher tous les actifs, d’abord les salariés du privé et les chômeurs, puis les indépendants, puis les fonctionnaires, est une machine à pulvériser les statuts, l’ensemble des droits collectifs étant individualisés dans des comptes individuels (compte personnel formation, compte pénibilité, compte épargne-temps d’abord puis compte maladie, retraite, mutuelle, congés, vie associative…). Le CPA doit donc accompagner la généralisation d’intermittents du salariat et de pseudo-indépendants ainsi qu’une Sécurité sociale pour tous mais sans sécurité et sans social. Tous à vos cartes bleues et à vos assurances privées.

2.B. Mesure du raccourcissement des chaînes selon les annonces de VALLS

 

1/ Pour le CPA, c’est raté, il est prévu d’en rajouter une couche : augmentation de la longueur des chaînes.
2/ Pour les licenciements économiques, remplacement de la loi prévue par la jurisprudence qui dit la même chose : maintien de la longueur des chaînes
3/ Indemnités prud’homales : la disparition du plancher est maintenu, le montant des plafonds, transformés en barèmes indicatifs, est maintenu, la réalité du fonctionnement des prud’hommes conduira à ce que l’indicatif devienne la norme, et le principe sous jacent (les employeurs ne sont pas des citoyens comme les autres, leurs délits ne donneront plus lieu à réparation en fonction du préjudice subi : maintien de la longueur des chaînes
4/ Pour le forfait-jours, décision unilatérale de l’employeur ou décision de l’employeur après signature d’un accord avec un salarié choisi par lui pour être mandaté par une organisation syndicale amie : maintien de la longueur des chaînes
5/ Retour à une rédaction qui maintiendrait un « droit constant » sur plusieurs points concernant le temps de travail (la définition par exemple) : les expériences et notamment en droit du travail (celui de la réécriture complète du code du travail en 2007) du prétendu « droit constant » obligent à attendre le tout dernier vote parlementaire (ou le 49-3) pour pouvoir mesurer l’étendue de l’éventuel raccourcissement de la chaîne. En tout état de cause, au vu des annonces, si raccourcissement il y a il sera imperceptible.

Une seule réponse raisonnable à cette insulte à l’intelligence des travailleurs : l’explosion sociale .
Richard Abauzit 20/03/2016
Publié sur le site : http://www.filoche.net/2016/03/20/3932/