mercredi 8 février 2023

Soutien au peuple péruvien contre la répression sanglante

Note de l'Espace International de la Confédération Générale du Travail (CGT) sur la situation au Pérou du Vendredi 20 Janvier 2023

Depuis la destitution du président Pedro Castillo, le Pérou traverse une crise sociale et politique qui a déjà fait une cinquantaine de morts et plus de six cent blessés par les forces de répression, sans compter la persécution des leaders syndicaux, sociaux et politiques qui protestent.

 Dans la journée du 7 décembre 2022, Pedro Castillo a essayé, dans l’incompréhension générale, de destituer le congrès pour mettre un terme à la paralysie institutionnelle qui étouffait la politique nationale de plus en plus instable depuis son élection au mois de juillet 2021. Cette tentative s'est retournée contre lui, il y avait un accord politique entre le congrès, à majorité de droite et d’extrême-droite, et la vice-présidente Dina Boluarte, du même parti que Pedro Castillo, Pérou Libre, et le congrès prenait la tête du pays. Pedro Castillo était arrêté et emprisonné le 7 décembre 2022 alors qu’il se dirigeait vers l’ambassade du Mexique pour demander l’asile politique. L’armée et la police se sont immédiatement, et sans surprise, rangées derrière la coalition du congrès.

Pedro Castillo, ancien syndicaliste, avait été élu avec l’appui massif des populations des régions andines, dont il est lui-même issu. Ces régions du sud est du pays, pauvres et rurales, sont historiquement sous-représentées dans le système politique péruvien en proie au racisme et au mépris de classe des élites de Lima. L'élection de Pedro Castillo s’était faite sur fonds d’inégalités sociales et territoriales indécentes et d’une épidémie de coronavirus violente avec le taux de mortalité le plus élevé de la planète de sept morts pour mille habitants. Pedro Castillo ne parvenait jamais à stabiliser son pouvoir, il y avait plus de soixante-dix changements de ministres et cinq premiers ministres se succédaient en à peine dix-huit mois, avec des alliances à géométrie variable, qui le conduisaient à perdre une partie de ses soutiens initiaux.

Des avancées importantes pour le monde du travail

Plusieurs promesses de campagnes majeures n’ont pas pu être menées à bien, la seconde réforme agraire d’un marché agricole soumis aux diktats, insoutenables pour la paysannerie, des grands commerçants et le processus constituant qui devait revenir sur la constitution néolibérale instituée à l’époque de la présidence sanglante d'Alberto Fujimori, qui faisait soixante-dix mille morts dans les années 1990. Néanmoins, deux décrets lois, impliquant des avancées positives pour les travailleurs et les syndicats, ont été promulgués en 2022.

Le premier décret concerne la limitation des possibilités d’externalisation de l’activité des entreprises. Le patronat péruvien a recouru à outrance à ce procédé, allant jusqu’à externaliser une partie des effectifs liés à l’activité principale. Un puzzle de statuts introduisant toujours plus d’inégalités de salaires, d’accès aux droits syndicaux et de contrats temporaires, entre les salariés. Pour la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou (CGTP), ce décret a mis un frein à la fraude à la loi et au recours abusif à l'externalisation.

Le deuxième décret, plus important encore, permet l'accès plus large à un travail décent en débloquant l'exercice des libertés syndicales dans trois aspects fondamentaux, une plus grande facilité d'adhésion et de formation des syndicats, incluant la possibilité de former des syndicats à l’échelle d’un groupe et de ses sous-traitants, le renforcement de la négociation collective par branche d'activité et le droit d’information des salariés sur cette négociation, la restauration du droit de grève et l'amélioration de la procédure d'arbitrage qui le limitait, face à une situation antérieure dans laquelle quatre-vingt-douze pour cent des grèves étaient considérées comme illégales.

Le patronat et la droite péruvienne ont été vent debout contre ces deux mesures et ils ont tenté, notamment à travers des lois au congrès, d’en limiter la portée. Cette offensive avait déjà suscité d’importantes mobilisations à l’initiative d’une large intersyndicale au mois de septembre 2022.

Après le coup d’Etat : une puissante mobilisation subissant une répression
sanglante et tous azimuts

Si le niveau de désapprobation de Pedro Castillo était fort dans le pays, soixante-et-un pour cent selon l’Institut Statistique Péruvien (ISP), son éviction par l’alliance entre sa vice-présidente et la majorité au congrès n’est pas passée auprès de larges secteurs de la population. Plus de quatre-vingt-huit pour cent de la population rejette l’action du congrès et soixante-et-onze pour cent des péruviens souhaite la démission de Dina Boluarte.

Une puissante mobilisation a d’abord commencé dans le sud-est du pays, à Puno, Cuzco, Apurimac, Junin, Arequipa et Ayacucho, avant de s’étendre progressivement au reste du pays. La réponse du gouvernement de transition a été d’une violence extrême, avec déjà plus de cinquante morts et six cent blessés, faisant encore monter d’un cran la colère de la population. L'état d’urgence a été décrété, limitant drastiquement les libertés démocratiques, et des dizaines de leaders du mouvement social ont été arrêtés arbitrairement.

Le mouvement syndical est aussi frappé de plein fouet. Des ordres de rétention des locaux syndicaux hébergeant l'Assemblée Nationale des Peuples (ANP) ont été lancés. Le secrétaire général de la CGTP [CGTPerou] de San Martin a été arrêté avec quatorze autres leaders syndicaux lors d'une manifestation contre le régime de Dina Boluarte, ainsi que le secrétaire général de la Fédération Départementale des Travailleurs d'Arequipa (FDTA), José Luis Chapa, un leader qui a mené la lutte des travailleurs de la vallée de Tambo contre le projet minier polluant de Tía María. Les leaders nationaux de la CGTP, principale organisation syndicale du pays, sont ciblés.

Jeudi 19 Janvier 2023, une grande grève nationale a été convoquée par la CGTP et l’ANP, coordination de divers secteurs du mouvement social et d’organisations paysannes. Plus d’une centaine de barrages routiers bloquaient la circulation à travers le Pérou, principalement dans le sud, épicentre de la contestation, mais également autour de Lima, pendant qu’une montée de dizaines de milliers de manifestants à Lima pour se joindre à la manifestation du Jeudi 19 Janvier 2023 s’organisait un peu partout dans les communautés du sud-est du pays.

La CGTP et l'ANP demandent la destitution de la présidente, la dissolution du congrès, des élections générales anticipées en 2023 et un processus constituant.

La CGT française apporte toute sa solidarité au peuple péruvien et au mouvement syndical contre la répression. La CGT soutient pleinement les revendications de la grève nationale du Jeudi 19 Janvier n2023, seules à même de rétablir le calme et d’avancer vers plus de justice sociale. Nous soutenons les travailleurs péruviens et nous disons avec nos camarades de la CGTP : "Seule la force du peuple, de la classe ouvrière et des travailleurs organisés, sera en mesure d'arrêter le carnage"

 

Source : https://entreleslignesentrelesmots.files.wordpress.com/2023/01/doc-20230120-wa0003..pdf