dimanche 15 janvier 2023

Réforme des retraites : un recul pour tous

 Analyse du projet de réforme des retraites 2023 par Sophie Binet (CGT, UGICT) 12/01/2023

1. Un projet intégré au PLFSSR pour faciliter son adoption

Le gouvernement veut passer l’ensemble de sa réforme via un Projet de loi de Financement Rectificatif de la Sécurité Sociale (PLFSSR). 

L’intérêt ? Une utilisation illimitée du 49-3, un temps très limité : 20 jours à l’Assemblée et 20 jours au Sénat, et pas d’étude d’impact à fournir

C’est inédit est très contestable d’un point de vue constitutionnel de faire une réforme de cette importance via un PLFSSR et donc sans étude d’impact. Certains juristes interrogent notamment sur la légitimité de supprimer les régimes spéciaux par ce biais...

2. Un recul de 2 ans de l'âge légal de départ en retraite

Passons au contenu de cette Réforme des retraites :

Ouverture des droits : 62 --> 64 ans avec un allongement de 3 mois / an dès la génération 1961.

Résultat, les personnes nées après 1964 ne pourront plus partir avant 63 ans et celles nées après 1968 après 64 ans.

Ce report de 2 ans concerne tous les actifs, y compris celles et ceux qui pouvaient partir en départ anticipé du fait (carrière longue, pénibilité, régime spéciaux).

Autocollant contre la réforme des retraites de 2010



3. Une augmentation de la durée de cotisation

Il se cumule à une augmentation du nombre de trimestres nécessaires. Les 43 annuités de cotisations s’appliqueront dès la génération 1965.

4. Un recul des droits pour tous

Il s’agit d’une réforme particulièrement brutale qui, pour la première fois depuis 1945 va faire baisser la durée de la retraite car le report de l’âge de départ excède les gains d’espérance de vie.

Il s’agit d’un recul pour toutes et tous : les salariés partent à 62 ans en moyenne aujourd’hui et les cadres et les femmes (qui sont ceux qui partent le plus tard) à 63 ans (voir https://ugictcgt.fr/retraites19janvier/ )

Pour les salarié·es des Régimes spéciaux l’âge de départ sera décalé de 2 ans ! Aides-soignantes 59 ans (contre 57 aujourd’hui), Policiers et les pompiers 54 ans (contre 52). Ils seront d’ailleurs en grève le 19 janvier.

La retraite pour les mort·e·s, comme le disait la CGT au début du 20e siècle ? L’espérance de vie en bonne santé stagne à 64 ans en moyenne. Un tiers des français·es les plus pauvres sont morts avant 65 ans.


5. Minimum vieillesse à 1200 euros : une soit-disante compensation

Voyons maintenant les « compensations ». Le minimum vieillesse passe à 1200€ brut. Il s’agit d’une mesure prévue par la loi depuis 2003 mais jamais vraiment appliquée depuis. Il était temps, notamment pour les femmes qui sont 37 % à toucher une pension de moins de 1000€ !

Cependant, c’est conditionné au fait d’avoir une carrière complète…83 % de ceux et surtout celles qui ont une pension inférieure à 1000€ ont une carrière complète. Conclusion : cela ne va pas changer la vie de grand monde.

Ah, et rappelons que 1200€, c’est seulement 100€ de plus que le seuil de pauvreté…

Et petite info pour LR : à première vue et contrairement aux annonces, le projet de loi ne prévoit cette revalorisation que pour les futur·e·s retraité·e·s, pas pour les actue·le·s............


6. Mesures sur la pénibilité : beaucoup de reculs

La pénibilité ensuite. C'est simple : il s’agit d’un ÉNORME recul : les quelques départs anticipés seront reportés de 60 à 62 ans, et pour tous les autres ce sera 64 ans. Quelques mesures cosmétiques mais qui ne règlent pas les graves insuffisances du compte pénibilité (C2P).

Moins de 2% des salarié·es bénéficient d’un départ anticipé pour pénibilité alors que 40 % des métiers ont au moins un critère de pénibilité et 10 % cumulent 3 critères.

Pourquoi ? Parce que Emmanuel Macron a retiré [en 2017, ndlr] 4 critères de pénibilité du C2P (les postures pénibles ; les manutentions manuelles de charges ; les vibrations mécaniques ; les agents chimiques dangereux.), et parce que les seuils d’exposition sont beaucoup trop élevés.


7. Départs anticipés et régimes spéciaux

Même chose pour les départs anticipés pour carrière longue qui sont décalés de deux ans, à 60 et 62 ans à part pour les quelques champion·ne·s qui travaillent en continu depuis 14 ans….

Suppression des régimes spéciaux de la RATP, des Industries Electriques et Gazières (EDF, ENGIE, ENEDIS, GRDF…), des clercs et employés de notaire (CRPCEN), de la Banque de France, et des membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) pour les nouveaux embauchés !

Avec sa « clause du grand père », le gouvernement tente de jouer l’opposition des générations. Sauf que pour les salariés concernés, la « clause du petit fils » ne passe pas…et qu’au moment où ces métiers peinent à recruter, elle est même contreproductive économiquement !

Ajoutons qu’ils seront concernés, comme tous les autres, par le report de 2 ans de l’âge de départ en retraite

Sont maintenus, les régimes des marins (marqués par une mortalité record, devant le bâtiment), l’Opéra de Paris et la Comédie-Française (forte mobilisation de ces derniers en 2019) et les régimes agricoles et des professions libérales (clientèle électorale ?)

Cependant, l’ensemble de ces actifs sont concerné·es par le report de 2 ans de l’âge d’ouverture des droits. Et si la réforme passe, leurs régimes totalement isolés ne subsisteront pas longtemps…

Précisons que les Régimes spéciaux représentent à peine 5 % du total du système de retraites et que le déficit concerne essentiellement celui des agriculteurs, du fait de la démographie de la profession. Les supprimer ne dégage aucune économie, c'est purement idéologique !

Tout ça pour quoi ? Pour résoudre un déficit de 0,4 % du PIB, soit 12 milliards… Les aides publiques aux entreprises atteignent 157 milliards, les dividendes culminent à 80 milliards et l’Etat a débloqué rubis sur l’ongle 240 milliards avec le quoi qu’il en coûte…

Et on introduit un recul majeur pour 60 millions de personnes pour trouver 12 milliards…


8. D'autres financements sont possibles

La CGT a de nombreuses propositions de financement https://ugictcgt.fr/tract-retraite

Par exemple : augmenter de 0,25 point les cotisations retraites pendant 4 ans dégagerait 15 milliards de ressources pour nos retraites. Pour un·e salarié.e au Smic, c’est 1,71€ par mois d’augmentation de cotisation salariale et 3,42 de cotisation patronale… 

Source :  https://twitter.com/BinetSophie/status/1613581601635536897

Texte du projet de loi de réforme des retraites : https://ugictcgt.fr/wp-content/uploads/sites/19/2023/01/PLFRSS-sur-la-re%CC%81forme-des-retraites-version-Conseil-dE%CC%81tat-12-01-2023_526666.pdf