mardi 5 juillet 2016

Royaume-Uni : le Brexit et la question du Labour



De Parliament Square aux prochaines manifs en France : construire un débouché politique prolétarien indépendant

Classe contre classe : le Labour contre ses destructeurs

Lundi 24 juin, Londres, Parliament Square : 10.000 manifestants, prévenus le jour même ou la veille, sont dressés contre le groupe parlementaire du Labour party – leur parti – réuni à huis clos, groupe parlementaire qui décide d’affirmer sa « défiance » envers Jeremy Corbyn, laquelle sera adoptée le lendemain par 172 voix contre 40. 

Classe contre classe : d’un côté, la jeunesse formée d’employés, d’étudiants, de précaires, d’ouvriers, et leurs parents qui ont connu les coups de Thatcher, de l’autre, des députés qui ne représentent pas le « Labour » mais servent la classe dominante.
D’un côté le vrai Labour, de l’autre ceux qui, à l’image de la social-démocratie européenne, sont ses pires ennemis. 


Même si John McDonnel, qui parle au nom de Corbyn aux manifestants, ou encore Len McClusckey, dirigeant d’Unite, principal syndicat soutien de Corbyn, effrayés par la scission qui se dessine, s’opposent à l’exigence démocratique de désinvestiture de ces députés blairistes, capitalistes et bien pensants, c’est cela qui est exigé par les manifestants, par les rassemblements dans tout le pays en soutien à Corbyn, par les 60 000 nouveaux adhérents qui, selon McDonnel, ont rejoint pour la même raison le Labour, depuis que, au lendemain du vote pour le Brexit, le putsch blairiste et antidémocratique, préparé de longue date, s’est mis en branle.

Il n’y a pourtant pas deux partis : il y a les représentants de la classe dominante qui occupent les sommets, où Corbyn, que jeunesse et travailleurs ont fait entrer par effraction au poste de leader, n’est pas chez lui à leurs yeux, et il y a la classe ouvrière, le Labour, qui entend reprendre sa place et aller de l’avant, car elle n’a pas le choix.

Pendant que médias et commentateurs dans toute l’Europe y vont de leurs enfilages de perles et cris de haine empreints de racisme social à l’encontre du peuple anglais accusé de racisme, la vraie bataille se déroule là : l’aggravation inédite de la crise des institutions du capital, aux niveaux européen, britannique et dans chaque pays, exige que le début de reconquête de son autonomie de pensée et d’action par la classe ouvrière, qu’avait été l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour l’an dernier, soit stoppé, immédiatement.

Les raisons du putsch des hommes de la City

Le putsch était en préparation avant le vote sur le Brexit, avec, comme argumentaire, que le Brexit l’emporte ou non, l’accusation lancée contre Corbyn d’avoir fait campagne mollement pour que la Grande-Bretagne reste dans l’UE, et de ne pas avoir, par exemple, accepté de poser aux côtés de Cameron, ainsi qu’un certain François Hollande l’avait fait, dans une « une » célèbre de Paris Match, aux côtés de Nicolas Sarkozy, lors du référendum de 2005. 
 
Le Brexit l’ayant emporté, Jeremy Corbyn, qui a pourtant fait campagne contre lui, est ni plus ni moins désigné comme son coupable n°1 : les nantis, les puissants et les arrogants qui ne cessent d’insulter le peuple pour sa « connerie » – notons que les termes clairement grossiers sont massivement employés désormais par les commentateurs bien pensants, signe de peur et de durcissement – n’y seraient, eux, pour rien, comme de bien entendu !

Qu’y-a-t-il là-dessous ? 
 

Un document de l’équipe de Corbyn, diffusé juste après le résultat du référendum, a été particulièrement attaqué : il y est expliqué que l’électorat ouvrier a souvent voté Brexit pour « virer le gouvernement conservateur » et que Corbyn, par sa position de « Remain » critique, serait « plus prés du centre de gravité du peuple britannique que n’importe quel autre responsable politique », seul à pouvoir « unifier un pays divisé ».

Belle illusion des pro-Corbyn que de penser qu’il peut unifier un pays partagé par des clivages de classe, et aussi par des clivages nationaux que le vote du 23 juin a portés en pleine lumière. Mais sous ce langage illusoire, il y a une autre réalité : ce que Corbyn pourrait réellement unifier, c’est le monde du travail et la jeunesse, contre le capital, comme le montrent ces 60.000 nouveaux adhérents qui viennent, qu’ils aient voté Brexit, Remain ou pas voté, pour combattre les hommes du capital dans le Labour à reconquérir.

Le groupe parlementaire prétendument travailliste n’a, lui, que haine et mépris de classe pour ces habitants des régions sinistrées du Yorkshire ou du Pays de Galles qui ont voté pour la sortie de l’UE. Ils ne veulent voir en eux que des « racistes » et des débiles, et ils font tout, de façon consciente, pour les livrer politiquement et moralement à la presse caniveau et à un Nigel Farrage. 

Et s’ils ont la même haine pour Corbyn, malgré sa modération et ses illusions, c’est à cause de l’empathie qui le lie à cette classe ouvrière anglaise et galloise qu’il veut toujours unir, quel que fut son vote le 23 juin, et organiser à nouveau. 


Plus encore : alors que Cameron a annoncé sa démission, tout en restant dans l’immédiat au pouvoir, et alors que ce maintien, anti-démocratique, fait pour contenir la crise politique, va en fait l’aggraver, et que la guerre de succession, obscure, opaque, byzantine, a commencé chez les tories, ce sont la City et Cameron aussi bien que les tories pro-Brexit que protègent les putschistes blairistes et droitiers dans le Labour. 


C’est d’ailleurs là l’argument le plus fort des pro-Corbyn : il faudrait maintenant s’unir pour des élections anticipées et pour chasser Cameron et les tories ; ceux qui accusent Corbyn d’être le coupable du Brexit font, consciemment, le jeu du gouvernement antisocial de Cameron et de son successeur éventuel.


Au lieu de se complaire dans le commentaire haineux des résultats du référendum voire dans l’exigence de leur annulation, c’est une immense marche en avant vers la démocratie qui est possible en Grande-Bretagne et dont ont besoin les peuples britanniques : dans cette marche en avant, l’exigence d’élections immédiates, le droit à la souveraineté des nations écossaise et irlandaise, et, comme premier levier, le respect et le renforcement du vote ouvrier et jeune qui a porté J. Corbyn à la tête du Labour, doivent former un bloc.

Ni vague populiste ni marche en avant des peuples,
mais décomposition des institutions capitalistes 

Nous venons d’esquisser là une réponse aux vraies questions. Le prolétariat, ou si l’on préfère la classe salariale, la classe ouvrière, ou le monde du travail, quelque nom qu’on lui donne, est, parce qu’il produit le capital qui le domine et ronge le monde et les sociétés, à même de mettre en œuvre une issue à la crise présente. Cela exige de lui qu’il dégage des perspectives, un programme qui répondent aux éléments de cette crise, y compris les aspects nationaux, géopolitiques et européens. 
 

La victoire du « Brexit » a suscité deux types de commentaires dans les milieux militants issus du mouvement ouvrier, les uns apocalyptiques ou angoissés, les autres jubilatoires ou pour le moins satisfaits. 
 

Dans une version, ce serait la victoire d’une vague raciste et chauvine, représentée par les deux pitres qui furent les grands porte-paroles du Brexit pendant la campagne référendaire, Nigel Farrage et Boris Johnson : partout « le populisme » menacerait. Dans l’autre version, ce serait malgré tout (malgré Farrage et Johhson et malgré la réalité du racisme, du chauvinisme, etc.), un vote de classe, des « petits » ou des « sans » contre les « gros » et ceux qui ont des biens, et puisqu’il y a là – c’est incontestable – une défaite pour « Bruxelles », ce serait forcément une bonne chose, et « le populisme » serait le terme injurieux sous lequel se cache l’aspiration démocratique à la souveraineté populaire et nationale. On peut d’ailleurs osciller, selon son humeur du jour, entre ces deux positions. 
 

Mais un point de vue de classe autonome ne peut se retrouver dans aucun de ces jugements tranchés, fortement teintés d’émotion. La victoire du Brexit est évidemment une aggravation brutale et marquée dans la crise politique de la classe dominante, et elle a également produit une chute boursière, relativisée toutefois une semaine après. La comparaison avec un krach boursier peut d’ailleurs être éclairante : un militant ouvrier doit-il forcément se réjouir d’un krach ? Il peut éprouver quelque joie mauvaise à voir confirmer ses analyses sur la crise profonde du capital, etc., mais à vrai dire cela ne lui sert à rien. « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre », disait Spinoza (ce qui n’exclut en rien les émotions mais permet de leur donner une issue !). Le Brexit ou le krach, par lui-même, ne fait en rien avancer la cause du prolétariat, tout dépend des conséquences que celui-ci en tire en termes de lutte, d’organisation, et de conscience. 
 

Soyons plus précis : un Brexit opéré par un gouvernement du vrai Labour, rompant non seulement avec Bruxelles, mais surtout avec la City, transformant le Royaume-Uni en libre union de républiques souveraines, et ouvrant cette perspective pour toute l’Europe, en alliance avec ses peuples, appelés à conquérir leur souveraineté, à faire ce que Tsipras n’a pas fait en Grèce, à dénoncer la dette soi-disant « publique », etc., ce serait là un immense pas en avant, révolutionnaire et démocratique, et ce serait un pas en avant vers le rapprochement entre les peuples d’Europe, vers l’unité de la vraie Europe, qui n’est en rien la prétendue « Union » Européenne. 
 

Mais le Brexit qui vient d’avoir lieu n’a rien à voir avec ça, il n’est pas l’œuvre d’un tel gouvernement, mais du chef tory James Cameron, héritier de Thatcher et de Blair, même s’il lui a explosé dans les doigts !


Le Brexit est en lui-même un fait majeur – la sortie de l’UE de la plus vieille puissance impérialiste européenne – et il s’ajoute à la crise des dettes souveraines en Europe, contenue mais nullement surmontée, à la crise entre Ukraine et impérialisme russe, à la crise dite des réfugiés, liée aux poussées révolutionnaires et aux guerres contre-révolutionnaires dans les pays du Sud de la Méditerranée et du Proche-Orient. Il s’ajoute à tout cela, pour signifier, sans aucun doute, que cette construction commune entre plusieurs États capitalistes et puissances impérialistes, qu’en général on appelle abusivement « Europe », entre en phase de décomposition
 

Mais du côté des exploiteurs et des oppresseurs, le capitalisme « mondialisé » de la City ou de la BCE et le chauvinisme meurtrier sont les deux faces d’une même médaille.


Combattre Bruxelles, pour la souveraineté populaire et nationale c’est-à-dire la démocratie, qui n’est pas compatible avec la domination du capital : assurément. Mais l’UE entrant en phase de crise aiguë, sa décomposition n’est pas en elle-même l’issue.

Source : https://aplutsoc.wordpress.com/2016/07/03/de-parliament-square-aux-prochaines-manifs-en-france-construire-un-debouche-politique-proletarien-independant/