dimanche 23 août 2015

12 et 23 ans d'emprisonnement requis contre les Ukrainiens Koltchenko et Sentsov

Ce 19 août, 12 ans et 23 ans d'emprisonnement (sous forme de camp de travail) ont été requis par un procureur russe contre les Ukrainiens Alexandr Koltchenko (étudiant anarchiste) et Oleg Sentsov (cinéaste). Parmi les 4 personnes (Koltechenko, Sentsov, Afanassiev et Tchirny) accusées par le régime de Poutine "d'organisation d'un groupe terroriste lié à l'extrême-droite ukrainienne", Afanassiev et Tchirny avaient, avant le procès, témoigné dans le sens de l'enquète.

Mais lors du procès, Afanassiev a déclaré avoir menti sous la torture. Vous trouverez ci-dessous, les déclarations, lors de l'audience, d'Alexandr Koltchenko et d'Oleg Sentsov. La sentence doit être annoncée le 25 août.


Alexandre Koltchenko :


« Je réfute l’accusation de terrorisme. Ceci est un procès fabriqué et motivé par des raisons politiques. La meilleure preuve est qu’on m’a arrêté pour avoir endommagé, en tentant d’y mettre le feu, la porte d’un local, mais cet acte de vandalisme n’a été requalifié en acte de terrorisme que 10 jours plus tard, soit le 13 mai, quand Afanassiev et Tchirny ont été obligés de témoigner dans le sens qui convenait à l’enquête. La formulation de l’acte d’accusation est en elle-même un chef d’œuvre : "A participé à une tentative d’incendie pour déstabiliser les organes du pouvoir en Crimée avec le but de faire pression sur le gouvernement russe pour qu’il accepte de désannexer la Crimée"

Dans le droit fil de cette logique, les gens qui utilisent un préservatif pourraient être accusés de vouloir la déstabilisation démographique du pays et de porter atteinte aux forces armées en empêchant la naissance de futurs soldats. De même, on pourrait traiter de crime le fait de critiquer un fonctionnaire, car cela nuirait à l’image du pays sur l’arène internationale ! On pourrait faire toute une liste de ces formulations extravagantes !

Pendant le procès, nous avons pu entendre des témoignages prouvant que Sentsov et Afanassiev avaient été torturés par des agents du FSB. Et ce sont ces gens-là qui osent nous traiter de terroristes ?

Tous ces procès qui ont lieu en Russie, en plus du nôtre et de celui de Nadejda Savtchenko, ont pour but de prolonger la vie de ce régime, alors qu’en nous jetant en prison, ce régime rapproche lui-même le moment de sa fin et ceux qui croyaient hier encore en la justice et l’ordre commencent à perdre confiance, car ils voient ce qui se passe. Demain ou après-demain, ce sont vos fameux 86% qui renverseront eux-mêmes ce régime autoritaire !

Je voudrais encore ajouter ceci : dans la lettre qu’Afanassiev a écrite depuis la prison de Rostov et dont Dmitri Dinze a fait lecture ici, on apprend qu’un agent du FSB lui avait dit  "Le jour où tu vas déposer au procès sera le jour le plus important de ta vie". Apparemment, cette phrase a frappé son cœur et  sa conscience et il l’a interprétée à sa manière. Je veux saluer le courage qu’il a fallu à Afanassiev pour prendre la décision de revenir sur le témoignage qu’on lui avait extorqué.

Je voudrais également remercier ceux qui nous soutiennent, Oleg et moi. Je suis d’accord avec les arguments de nos avocats, ils sont justes et raisonnables : pas question pour moi de demander quoi que ce soit à ce tribunal. »

Oleg Sentsov :

«  Comme Sacha, je ne demanderai rien à ce tribunal, car c’est le tribunal des occupants et par définition il ne peut pas être juste. Je ne dis pas ça pour vous, Votre Honneur !
 
C’est d’autre chose que je voudrais parler. Dans Le Maître et Marguerite de Boulgakov, quand Ponce Pilate, après toute une éternité à réfléchir sur son crime, est enfin pardonné, il dit à Yeshoua Ha-Nozri : "Tu sais, tu avais raison, le plus grand péché sur terre, c’est la lâcheté." Je suis tout à fait d’accord avec cette phrase du grand écrivain russe : la lâcheté est vraiment le plus grand, le plus terrible péché qui soit et la trahison est l’une de ses manifestations.

Une grande trahison commence parfois par une petite couardise, comme ce fut le cas pour Tchirny. Un sac sur la tête, quelques coups et au bout d’une demi-heure tu es déjà prêt à renier tes convictions, à t’accuser toi-même et les autres de tout ce qu’on veut, juste pour que les coups s’arrêtent. Je ne sais pas ce que valent de telles convictions si on n’est pas prêt à souffrir ou à mourir pour elles.

Je suis très heureux que Guéna Afanassiev ait pu retrouver son honneur. Il a flanché, mais quand il a compris qu’il avait une chance de se rattraper, il l’a saisie avec un très grand courage. A mon grand étonnement. Je suis content pour lui. Je sais que ses rétractations n’auront aucun effet sur le verdict, mais c’est pour lui que je suis content : il pourra continuer à vivre la tête haute, parce qu’il n’aura pas été lâche.

On continue pourtant à le menacer, à le frapper, à faire pression sur lui, mais il a fait un pas dans la bonne direction, il ne reviendra plus en arrière. Je suis vraiment heureux pour lui.

Voilà un an que je suis dans votre magnifique pays et que je regarde votre télévision. Votre propagande fait un travail admirable. Je pense que la majorité de la population croit à ce qu’on lui raconte, que Poutine est génial, que l’Ukraine est fasciste, que la Russie est sur la bonne voie et qu’elle est entourée d’ennemis. Très beau travail de propagande. Mais je pense également qu’il y a des gens plus intelligents qui soutiennent ce régime, comme vous par exemple. Des gens qui savent pertinemment qu’il n’y a pas de fascistes en Ukraine, que la Crimée a été illégalement annexée et que l’armée russe est dans le Donbass. Même moi, dans ma cellule, je sais que votre armée y est.

Toute la prison est remplie de ces insurgés qu’on envoie se battre en Ukraine sur vos tanks et avec vos armes. Ils pensent qu’à leur retour en Russie ils seront accueillis en héros. Mais comme ils reviennent avec des armes et des munitions, ils sont arrêtés à la frontière et jetés en prison. Et eux, ils s’étonnent : "Mais pourquoi ? On est des héros, pourtant ! C’est ce qu’ils nous disaient quand ils nous ont envoyés là-bas !" Ils ne comprennent pas que ce train ne roule que dans un sens. 

J’ai rencontré ici un homme du GRU, il est là pour une autre affaire criminelle, il a participé à l’invasion de la Crimée. Avec les autres il est arrivé en bateau le 24 mars à Sévastopol pour bloquer les garnisons ukrainiennes. Et lui assiégeait précisément celle d’Evpatoria à laquelle j’apportais de l’aide et de la nourriture. C’est drôle, non ? Ensuite il a participé avec sa brigade au massacre du chaudron d’Ilovaïsk.

Je vois devant moi les troubadours de votre régime, je pense qu’eux aussi sont intelligents, ils savent la vérité, mais continuent à mentir, c’est leur boulot qui veut ça, doivent-ils sans doute penser pour se justifier. Autrement ce serait le chômage et il y a la famille à nourrir … Mais les gars, pourquoi élever une nouvelle génération d’esclaves ?

Et puis il y a une autre partie de la population qui ne croit pas à toutes les fables de votre agitprop, qui comprend ce qui se passe en Russie et dans le monde, qui sait quels crimes horribles commet votre gouvernement, mais ces gens-là ont peur. Ils pensent qu’il est impossible de changer quoi que ce soit, que ce régime est immuable, et que de toute façon ils sont trop peu nombreux, qu’on les arrêtera et qu’on les liquidera. Alors ils se font tout petits, dans leur silencieuse clandestinité.

Nous aussi en Ukraine nous avons eu un pouvoir criminel, mais on s’est révoltés. Ils ne voulaient pas nous entendre là-haut ? On tapait sur des fûts. De là-haut ils ne voulaient pas nous voir ? On enflammait des pneus. Et à la fin nous avons gagné. Tôt ou tard, cela se passera aussi chez vous. De quelle manière ? Je ne sais pas. Je ne veux pas qu’il y ait de victimes, je veux seulement que vous ne soyez plus gouvernés par des criminels.

Le juge : Vous sortez du cadre du procès. Vous devez vous limiter à ce qui concerne votre affaire.

Sentsov : De toute façon, j’avais fini, Votre Honneur !

Le juge : Je ne voulais pas vous couper la parole, seulement …

Sentsov : Oui, oui, je sais que vous ne m’avez pas coupé la parole … Bon, ce que peux souhaiter à ce tiers de la population russe qui est informée : Apprenez à ne plus avoir peur ! »

Source : http://ukraine2014.canalblog.com/archives/2015/08/20/32509702.html
Plus d'informations ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-presumey/190815/sentsov-et-koltchenko-23-ans-et-12-ans-de-camp-non