De Parliament Square aux prochaines manifs en France : construire un débouché politique prolétarien indépendant
Classe contre classe : le Labour contre ses destructeurs
Lundi 24 juin, Londres, Parliament Square : 10.000
manifestants, prévenus le jour même ou la veille, sont dressés
contre le groupe parlementaire du Labour party – leur parti –
réuni à huis clos, groupe parlementaire qui décide d’affirmer sa
« défiance » envers Jeremy Corbyn, laquelle sera adoptée
le lendemain par 172 voix contre 40.
Classe contre classe : d’un côté, la jeunesse formée
d’employés, d’étudiants, de précaires, d’ouvriers, et leurs
parents qui ont connu les coups de Thatcher, de l’autre, des
députés qui ne représentent pas le « Labour » mais
servent la classe dominante.
D’un côté le vrai Labour, de l’autre ceux qui, à l’image
de la social-démocratie européenne, sont ses pires ennemis.
Même si John McDonnel, qui parle au nom de Corbyn aux
manifestants, ou encore Len McClusckey, dirigeant d’Unite,
principal syndicat soutien de Corbyn, effrayés par la scission qui
se dessine, s’opposent à l’exigence démocratique de
désinvestiture de ces députés blairistes, capitalistes et bien
pensants, c’est cela qui est exigé par les manifestants, par les
rassemblements dans tout le pays en soutien à Corbyn, par les 60 000
nouveaux adhérents qui, selon McDonnel, ont rejoint pour la même
raison le Labour, depuis que, au lendemain du vote pour le Brexit, le
putsch blairiste et antidémocratique, préparé de longue date,
s’est mis en branle.
Il n’y a pourtant pas deux partis : il y a les
représentants de la classe dominante qui occupent les sommets, où
Corbyn, que jeunesse et travailleurs ont fait entrer par effraction
au poste de leader, n’est pas chez lui à leurs yeux, et il y a la
classe ouvrière, le Labour, qui entend reprendre sa place et aller
de l’avant, car elle n’a pas le choix.
Pendant que médias et commentateurs dans toute l’Europe y vont
de leurs enfilages de perles et cris de haine empreints de racisme
social à l’encontre du peuple anglais accusé de racisme, la vraie
bataille se déroule là : l’aggravation inédite de la crise
des institutions du capital, aux niveaux européen, britannique et
dans chaque pays, exige que le début de reconquête de son autonomie
de pensée et d’action par la classe ouvrière, qu’avait été
l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour l’an dernier,
soit stoppé, immédiatement.
Les raisons du putsch des hommes de la City
Le
putsch était en préparation avant le vote sur le Brexit, avec,
comme argumentaire, que le Brexit l’emporte ou non, l’accusation
lancée contre Corbyn d’avoir fait campagne mollement pour que la
Grande-Bretagne reste dans l’UE, et de ne pas avoir, par exemple,
accepté de poser aux côtés de Cameron, ainsi qu’un certain
François Hollande l’avait fait, dans une « une »
célèbre de Paris Match, aux côtés de Nicolas Sarkozy, lors
du référendum de 2005.
Le
Brexit l’ayant emporté, Jeremy Corbyn, qui a pourtant fait
campagne contre lui, est ni plus ni moins désigné comme son
coupable n°1 : les nantis, les puissants et les
arrogants qui ne cessent d’insulter le peuple pour sa « connerie »
– notons que les termes clairement grossiers sont massivement
employés désormais par les commentateurs bien pensants, signe de
peur et de durcissement – n’y seraient, eux, pour rien, comme de
bien entendu !
Qu’y-a-t-il
là-dessous ?
Un
document de l’équipe de Corbyn, diffusé juste après le résultat
du référendum, a été particulièrement attaqué : il y est
expliqué que l’électorat ouvrier a souvent voté Brexit pour
« virer le gouvernement conservateur » et que
Corbyn, par sa position de « Remain » critique, serait
« plus prés du centre de gravité du peuple britannique que
n’importe quel autre responsable politique », seul à
pouvoir « unifier un pays divisé ».
Belle
illusion des pro-Corbyn que de penser qu’il peut unifier un pays
partagé par des clivages de classe, et aussi par des clivages
nationaux que le vote du 23 juin a portés en pleine lumière. Mais
sous ce langage illusoire, il y a une autre réalité : ce que
Corbyn pourrait réellement unifier, c’est le monde du travail et
la jeunesse, contre le capital, comme le montrent ces 60.000 nouveaux
adhérents qui viennent, qu’ils aient voté Brexit, Remain ou pas
voté, pour combattre les hommes du capital dans le Labour à
reconquérir.
Le groupe parlementaire prétendument travailliste n’a, lui, que
haine et mépris de classe pour ces habitants des régions sinistrées
du Yorkshire ou du Pays de Galles qui ont voté pour la sortie de
l’UE. Ils ne veulent voir en eux que des « racistes »
et des débiles, et ils font tout, de façon consciente, pour les
livrer politiquement et moralement à la presse caniveau et à un
Nigel Farrage.
Et s’ils ont la même haine pour Corbyn, malgré sa modération
et ses illusions, c’est à cause de l’empathie qui le lie à
cette classe ouvrière anglaise et galloise qu’il veut toujours
unir, quel que fut son vote le 23 juin, et organiser à nouveau.
Plus encore : alors que Cameron a annoncé sa démission,
tout en restant dans l’immédiat au pouvoir, et alors que ce
maintien, anti-démocratique, fait pour contenir la crise politique,
va en fait l’aggraver, et que la guerre de succession, obscure,
opaque, byzantine, a commencé chez les tories, ce sont la City et
Cameron aussi bien que les tories pro-Brexit que protègent les
putschistes blairistes et droitiers dans le Labour.
C’est d’ailleurs là l’argument le plus fort des
pro-Corbyn : il faudrait maintenant s’unir pour des élections
anticipées et pour chasser Cameron et les tories ; ceux qui
accusent Corbyn d’être le coupable du Brexit font, consciemment,
le jeu du gouvernement antisocial de Cameron et de son successeur
éventuel.
Au lieu de se complaire dans le commentaire haineux des résultats
du référendum voire dans l’exigence de leur annulation, c’est
une immense marche en avant vers la démocratie qui est possible en
Grande-Bretagne et dont ont besoin les peuples britanniques :
dans cette marche en avant, l’exigence d’élections immédiates,
le droit à la souveraineté des nations écossaise et irlandaise,
et, comme premier levier, le respect et le renforcement du vote
ouvrier et jeune qui a porté J. Corbyn à la tête du Labour,
doivent former un bloc.
Ni vague populiste ni marche en avant des
peuples,
mais décomposition des institutions capitalistes
Nous
venons d’esquisser là une réponse aux vraies questions. Le
prolétariat, ou si l’on préfère la classe salariale, la classe
ouvrière, ou le monde du travail, quelque nom qu’on lui donne,
est, parce qu’il produit le capital qui le domine et ronge le monde
et les sociétés, à même de mettre en œuvre une issue à la crise
présente. Cela exige de lui qu’il dégage des perspectives, un
programme qui répondent aux éléments de cette crise, y compris les
aspects nationaux, géopolitiques et européens.
La
victoire du « Brexit » a suscité deux types de
commentaires dans les milieux militants issus du mouvement ouvrier,
les uns apocalyptiques ou angoissés, les autres jubilatoires ou pour
le moins satisfaits.
Dans
une version, ce serait la victoire d’une vague raciste et chauvine,
représentée par les deux pitres qui furent les grands porte-paroles
du Brexit pendant la campagne référendaire, Nigel Farrage et Boris
Johnson : partout « le populisme » menacerait. Dans
l’autre version, ce serait malgré tout (malgré Farrage et Johhson
et malgré la réalité du racisme, du chauvinisme, etc.), un vote de
classe, des « petits » ou des « sans » contre
les « gros » et ceux qui ont des biens, et puisqu’il y
a là – c’est incontestable – une défaite pour « Bruxelles »,
ce serait forcément une bonne chose, et « le populisme »
serait le terme injurieux sous lequel se cache l’aspiration
démocratique à la souveraineté populaire et nationale. On peut
d’ailleurs osciller, selon son humeur du jour, entre ces deux
positions.
Mais
un point de vue de classe autonome ne peut se retrouver dans aucun de
ces jugements tranchés, fortement teintés d’émotion. La victoire
du Brexit est évidemment une aggravation brutale et marquée dans la
crise politique de la classe dominante, et elle a également produit
une chute boursière, relativisée toutefois une semaine après. La
comparaison avec un krach boursier peut d’ailleurs être
éclairante : un militant ouvrier doit-il forcément se réjouir
d’un krach ? Il peut éprouver quelque joie mauvaise à voir
confirmer ses analyses sur la crise profonde du capital, etc., mais à
vrai dire cela ne lui sert à rien. « Ni rire, ni pleurer, mais
comprendre », disait Spinoza (ce qui n’exclut en rien les
émotions mais permet de leur donner une issue !). Le Brexit ou le
krach, par lui-même, ne fait en rien avancer la cause du
prolétariat, tout dépend des conséquences que celui-ci en tire en
termes de lutte, d’organisation, et de conscience.
Soyons
plus précis : un Brexit opéré par un gouvernement du vrai
Labour, rompant non seulement avec Bruxelles, mais surtout avec la
City, transformant le Royaume-Uni en libre union de républiques
souveraines, et ouvrant cette perspective pour toute l’Europe, en
alliance avec ses peuples, appelés à conquérir leur souveraineté,
à faire ce que Tsipras n’a pas fait en Grèce, à dénoncer la
dette soi-disant « publique », etc., ce serait là un
immense pas en avant, révolutionnaire et démocratique, et ce serait
un pas en avant vers le rapprochement entre les peuples d’Europe,
vers l’unité de la vraie Europe, qui n’est en rien la prétendue
« Union » Européenne.
Mais
le Brexit qui vient d’avoir lieu n’a rien à voir avec ça, il
n’est pas l’œuvre d’un tel gouvernement, mais du chef tory
James Cameron, héritier de Thatcher et de Blair, même s’il lui a
explosé dans les doigts !
Le
Brexit est en lui-même un fait majeur – la sortie de l’UE de la
plus vieille puissance impérialiste européenne – et il s’ajoute
à la crise des dettes souveraines en Europe, contenue mais nullement
surmontée, à la crise entre Ukraine et impérialisme russe, à la
crise dite des réfugiés, liée aux poussées révolutionnaires et
aux guerres contre-révolutionnaires dans les pays du Sud de la
Méditerranée et du Proche-Orient. Il s’ajoute à tout cela, pour
signifier, sans aucun doute, que cette
construction commune
entre plusieurs États capitalistes et puissances impérialistes,
qu’en général on appelle abusivement « Europe »,
entre
en phase de décomposition.
Mais
du côté des exploiteurs et des oppresseurs, le
capitalisme « mondialisé » de la City ou de la BCE et le
chauvinisme meurtrier sont les deux faces d’une même médaille.
Combattre
Bruxelles, pour la souveraineté populaire et nationale c’est-à-dire
la démocratie, qui n’est pas compatible avec la domination du
capital : assurément. Mais l’UE entrant en phase de crise aiguë,
sa décomposition n’est pas en elle-même l’issue.
Source : https://aplutsoc.wordpress.com/2016/07/03/de-parliament-square-aux-prochaines-manifs-en-france-construire-un-debouche-politique-proletarien-independant/