Mais lors du procès, Afanassiev a déclaré avoir menti sous la torture. Vous trouverez ci-dessous, les déclarations, lors de l'audience, d'Alexandr Koltchenko et d'Oleg Sentsov. La sentence doit être annoncée le 25 août.
Alexandre Koltchenko :
« Je
réfute l’accusation de terrorisme. Ceci est un procès fabriqué et motivé
par des raisons politiques. La meilleure preuve est qu’on m’a arrêté
pour avoir endommagé, en tentant d’y mettre le feu, la porte d’un local,
mais cet acte de vandalisme n’a été requalifié en acte de terrorisme
que 10 jours plus tard, soit le 13 mai, quand Afanassiev et Tchirny ont
été obligés de témoigner dans le sens qui convenait à l’enquête. La
formulation de l’acte d’accusation est en elle-même un chef d’œuvre : "A
participé à une tentative d’incendie pour déstabiliser les organes du
pouvoir en Crimée avec le but de faire pression sur le gouvernement
russe pour qu’il accepte de désannexer la Crimée"
Dans
le droit fil de cette logique, les gens qui utilisent un préservatif
pourraient être accusés de vouloir la déstabilisation démographique du
pays et de porter atteinte aux forces armées en empêchant la naissance
de futurs soldats. De même, on pourrait traiter de crime le fait de
critiquer un fonctionnaire, car cela nuirait à l’image du pays sur
l’arène internationale ! On pourrait faire toute une liste de ces
formulations extravagantes !
Pendant
le procès, nous avons pu entendre des témoignages prouvant que Sentsov
et Afanassiev avaient été torturés par des agents du FSB. Et ce sont ces
gens-là qui osent nous traiter de terroristes ?
Tous
ces procès qui ont lieu en Russie, en plus du nôtre et de celui de
Nadejda Savtchenko, ont pour but de prolonger la vie de ce régime, alors
qu’en nous jetant en prison, ce régime rapproche lui-même le moment de
sa fin et ceux qui croyaient hier encore en la justice et l’ordre
commencent à perdre confiance, car ils voient ce qui se passe. Demain ou
après-demain, ce sont vos fameux 86% qui renverseront eux-mêmes ce
régime autoritaire !
Je
voudrais encore ajouter ceci : dans la lettre qu’Afanassiev a écrite
depuis la prison de Rostov et dont Dmitri Dinze a fait lecture ici, on
apprend qu’un agent du FSB lui avait dit "Le jour où tu vas déposer au
procès sera le jour le plus important de ta vie". Apparemment, cette
phrase a frappé son cœur et sa conscience et il l’a interprétée à sa
manière. Je veux saluer le courage qu’il a fallu à Afanassiev pour
prendre la décision de revenir sur le témoignage qu’on lui avait
extorqué.
Je
voudrais également remercier ceux qui nous soutiennent, Oleg et moi. Je
suis d’accord avec les arguments de nos avocats, ils sont justes et
raisonnables : pas question pour moi de demander quoi que ce soit à ce
tribunal. »
Oleg Sentsov :
« Comme Sacha, je ne demanderai rien à ce tribunal, car c’est le tribunal des occupants et par définition il ne peut pas être juste. Je ne dis pas ça pour vous, Votre Honneur !
C’est
d’autre chose que je voudrais parler. Dans Le Maître et Marguerite de
Boulgakov, quand Ponce Pilate, après toute une éternité à réfléchir sur
son crime, est enfin pardonné, il dit à Yeshoua Ha-Nozri : "Tu sais, tu
avais raison, le plus grand péché sur terre, c’est la lâcheté." Je suis
tout à fait d’accord avec cette phrase du grand écrivain russe : la
lâcheté est vraiment le plus grand, le plus terrible péché qui soit et
la trahison est l’une de ses manifestations.
Une
grande trahison commence parfois par une petite couardise, comme ce fut
le cas pour Tchirny. Un sac sur la tête, quelques coups et au bout d’une
demi-heure tu es déjà prêt à renier tes convictions, à t’accuser
toi-même et les autres de tout ce qu’on veut, juste pour que les coups
s’arrêtent. Je ne sais pas ce que valent de telles convictions si on
n’est pas prêt à souffrir ou à mourir pour elles.
Je
suis très heureux que Guéna Afanassiev ait pu retrouver son honneur. Il a
flanché, mais quand il a compris qu’il avait une chance de se
rattraper, il l’a saisie avec un très grand courage. A mon grand
étonnement. Je suis content pour lui. Je sais que ses rétractations
n’auront aucun effet sur le verdict, mais c’est pour lui que je suis
content : il pourra continuer à vivre la tête haute, parce qu’il n’aura
pas été lâche.
On
continue pourtant à le menacer, à le frapper, à faire pression sur lui,
mais il a fait un pas dans la bonne direction, il ne reviendra plus en
arrière. Je suis vraiment heureux pour lui.
Voilà
un an que je suis dans votre magnifique pays et que je regarde votre
télévision. Votre propagande fait un travail admirable. Je pense que la
majorité de la population croit à ce qu’on lui raconte, que Poutine est
génial, que l’Ukraine est fasciste, que la Russie est sur la bonne voie
et qu’elle est entourée d’ennemis. Très beau travail de propagande. Mais
je pense également qu’il y a des gens plus intelligents qui soutiennent
ce régime, comme vous par exemple. Des gens qui savent pertinemment
qu’il n’y a pas de fascistes en Ukraine, que la Crimée a été
illégalement annexée et que l’armée russe est dans le Donbass. Même moi,
dans ma cellule, je sais que votre armée y est.
Toute
la prison est remplie de ces insurgés qu’on envoie se battre en Ukraine
sur vos tanks et avec vos armes. Ils pensent qu’à leur retour en Russie
ils seront accueillis en héros. Mais comme ils reviennent avec des
armes et des munitions, ils sont arrêtés à la frontière et jetés en
prison. Et eux, ils s’étonnent : "Mais pourquoi ? On est des héros,
pourtant ! C’est ce qu’ils nous disaient quand ils nous ont envoyés
là-bas !" Ils ne comprennent pas que ce train ne roule que dans un
sens.
J’ai
rencontré ici un homme du GRU, il est là pour une autre affaire
criminelle, il a participé à l’invasion de la Crimée. Avec les autres il
est arrivé en bateau le 24 mars à Sévastopol pour bloquer les garnisons
ukrainiennes. Et lui assiégeait précisément celle d’Evpatoria à
laquelle j’apportais de l’aide et de la nourriture. C’est drôle, non ?
Ensuite il a participé avec sa brigade au massacre du chaudron
d’Ilovaïsk.
Je
vois devant moi les troubadours de votre régime, je pense qu’eux aussi
sont intelligents, ils savent la vérité, mais continuent à mentir, c’est
leur boulot qui veut ça, doivent-ils sans doute penser pour se
justifier. Autrement ce serait le chômage et il y a la famille à nourrir
… Mais les gars, pourquoi élever une nouvelle génération d’esclaves ?
Et
puis il y a une autre partie de la population qui ne croit pas à toutes
les fables de votre agitprop, qui comprend ce qui se passe en Russie et
dans le monde, qui sait quels crimes horribles commet votre
gouvernement, mais ces gens-là ont peur. Ils pensent qu’il est
impossible de changer quoi que ce soit, que ce régime est immuable, et
que de toute façon ils sont trop peu nombreux, qu’on les arrêtera et
qu’on les liquidera. Alors ils se font tout petits, dans leur
silencieuse clandestinité.
Nous
aussi en Ukraine nous avons eu un pouvoir criminel, mais on s’est
révoltés. Ils ne voulaient pas nous entendre là-haut ? On tapait sur des
fûts. De là-haut ils ne voulaient pas nous voir ? On enflammait des
pneus. Et à la fin nous avons gagné. Tôt ou tard, cela se passera aussi
chez vous. De quelle manière ? Je ne sais pas. Je ne veux pas qu’il y
ait de victimes, je veux seulement que vous ne soyez plus gouvernés par
des criminels.
Le juge : Vous sortez du cadre du procès. Vous devez vous limiter à ce qui concerne votre affaire.
Sentsov : De toute façon, j’avais fini, Votre Honneur !
Le juge : Je ne voulais pas vous couper la parole, seulement …
Sentsov :
Oui, oui, je sais que vous ne m’avez pas coupé la parole … Bon, ce que
peux souhaiter à ce tiers de la population russe qui est informée :
Apprenez à ne plus avoir peur ! »
Source : http://ukraine2014.canalblog.com/archives/2015/08/20/32509702.html
Plus d'informations ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-presumey/190815/sentsov-et-koltchenko-23-ans-et-12-ans-de-camp-non