Entretien avec Sotiris Martalis, après le vote au parlement grec (les 15-16 juillet 2015) de la première série de réformes exigées par l'Eurogroupe. Peu avant, 109 membres du Comité central de Syriza avaient signé une déclaration qui s'opposait à cet accord avec l'Eurogroupe. Lors du vote, 39 députés de Syriza (parmi les 300 membres du parlement grec, il y a 149 députés Syriza ) ont consigné leur opposition.
Soritis Martalis est membre du Comité Central de Syriza et de DEA (Gauche ouvrière internationaliste).
Quelle est la situation au sein de Syriza suite au vote au parlement?
Il y a eu deux développements importants durant la semaine. L’un a
été les 109 signatures de membres du Comité central d’une déclaration
qui s’opposait à l’accord [avec l’Eurogroupe] et appelait à une réunion
de cet organe. Le deuxième a été le vote de 39 députés·e·s de Syriza qui
consignaient leur opposition: 32 ont voté «non», 6 se sont déclarés
«présent·e·s» [abstention] et l’absence d’un député a été enregistrée.
Le nombre de ces votes fait de la gauche de Syriza, de fait, la
troisième force au sein de la Vouli, le Parlement [qui compte un total
de 300 députés·e·s]. C’est un grand problème au sein de Syriza et cela a
ouvert de vastes débats.
Tsipras a désormais conduit une réorganisation du gouvernement afin
de se débarrasser de ceux qui se sont opposés à lui au Parlement. Il a
aussi exigé la démission de la présidente du Parlement, Zoe
Konstantopoulou. Il a expulsé les ministres qui appartiennent au Courant
de gauche qui ont voté «non» ou «présent» aux «propositions». Cela
comprend le ministre de l’énergie Panagiotis Lafazanis, qui a été
remplacé par l’ancien ministre du travail Giorgos Stathakis; l’adjoint
du ministre du travail Dimitris Stratoulis a été remplacé par Pavlos
Haikalis, un acteur comique populaire et membre du partenaire de droite
de Syriza au gouvernement, ANEL [Grecs indépendants], accordant à ce
parti un autre poste au sein du gouvernement; enfin, Costas Isychos,
adjoint du ministre de la défense, a été remplacé par Dimitris Vitsas,
un membre de Syriza loyal à Tsipras.
Tsipras a aussi nommé un député du Courant de gauche qui a voté «oui»
à un poste de ministre: Yannis Amanatidis, qui a été promu adjoint du
ministre des affaires étrangères. Tsipras a aussi changé le principal
porte-parole du gouvernement, Gavriil Sakelaridis, qui a été remplacé
par Olga Gerovasili.
Comment décrirais-tu l’atmosphère parmi la base de Syriza?
L’atmosphère dans le parti est pour le «non» à l’accord. 60% des
comités de coordination régionaux ont pris position pour le «non» – à
Thessalonique et au sud d’Athènes pour ne mentionner que deux exemples.
Je ne peux m’exprimer avec certitude quant à l’humeur de la
population. Ils ont énormément de questions. Ils sont convaincus que
Tsipras a combattu durement avec les «Européens». Ils croient que les
officiels européens lui ont fait un dur chantage et qu’il a fait le
mieux qu’il pouvait. Mais nous verrons ce qui se passe lorsque toutes
ces nouvelles mesures d’austérité commenceront à frapper les gens.
C’était une excellente chose qu’il y a eu un appel à la grève de la
part de la Confédération syndicale du secteur public [ADEDY] lors du
vote parlementaire. C’est une décision qui avait été prise seulement
deux jours auparavant. Nous n’avons donc pas eu suffisamment de temps
pour préparer la grève. Malgré cela, il y a eu deux appels à manifester:
l’un dans la matinée du vote, le second pour un meeting ouvert alors
que le Parlement débattait de l’accord. ADEDY a déclaré qu’il
continuerait de combattre et de faire grève contre l’austérité ainsi que
de défendre nos conditions d’existence. Il y avait à ces deux
manifestations des milliers de personnes. C’est un bon premier pas.
Comment la gauche de Syriza a-t-elle réagi lorsque l’accord avec les Européens a été annoncé?
Le Réseau rouge (Red Network) au sein de Syriza, au sein de la
Plateforme de gauche avec le Courant de gauche, a pris l’initiative de
faire connaître nos critiques largement ainsi que d’appeler à voter
«non» au Comité central. 109 membres de cet organe – soit une majorité
sur un total de 201 – ont exprimé leur opposition à l’accord.
C’est, en réalité, un résultat fondé sur l’opposition de gauche qui
s’est construite au cours des dernières réunions du Comité central.
C’est la Plateforme de gauche, en parallèle avec des forces de la gauche
de la majorité, ainsi que du KOE [organisation d’origine maoïste
faisant partie de Syriza, dont les 4 député·e·s ont voté «non»]. Il n’a
pas été possible de prendre des mesures disciplinaires car les instances
du parti n’avaient pas pris de décision sur le type de vote.
Pour les député·e·s, toutefois, il y a eu des pressions pour qu’ils
soutiennent le gouvernement. Malgré cette pression, 39 n’ont pas voté en
faveur des mesures d’austérité.
Le vote au Parlement s’est déroulé
une semaine et demie après le référendum du 5 juillet au cours duquel
61,3% des électeurs ont dit «non» à une proposition d’austérité
antérieure. Quel rôle le vote au référendum a-t-il joué dans la
construction de l’opposition de gauche au sein de Syriza?
La décision de Tsipras d’appeler à un référendum trouve sa source sous l’effet de deux principales pressions.
La première est celle des Européens. Ils ne voulaient pas qu’un
gouvernement de gauche remporte un succès et offre une solution
alternative pour l’Europe. Ils voulaient faire un exemple pour Podemos
dans l’Etat espagnol et le Sinn Fein en Irlande. Ils ont exercé de très
fortes pressions sur le gouvernement, exigeant des mesures pires que les
antérieures et demandant à ce que Tsipras accepte.
La seconde, il y a eu des pressions sur Tsipras en raison de la
position très claire de la Plateforme de gauche selon laquelle ses
partisans ne voteraient pas en faveur de telles mesures. C’était un
choix difficile pour le gouvernement. Tsipras a donc choisi d’appeler au
référendum.
Le vote OXI était la voix de la base, des gens d’en bas: des citoyens
âgés, des jeunes, des travailleurs, etc. Il a permis de construire la
conviction que l’on peut résister, que l’on peut bâtir une alternative.
Tout cela a frayé la voie, je pense, à ce que nous voyons maintenant:
les 109 membres du Comité central qui s’opposent à l’accord et les 39
député·e·s de Syriza qui ont voté contre.
Quelles sont les prochaines étapes de la bataille au sein de Syriza?
C’est maintenant qu’arrivent les pas difficiles. Nous avons appelé à
une réunion du Réseau Rouge et de ses sympathisant·e·s à l’échelle
nationale afin de prendre des décisions quant aux prochaines étapes et
comment nous allons réagir face aux politiques d’austérité. La réunion a
été très bien suivie et les débats fort utiles ; d’autant plus que des
membres, issus de courants historiques de la gauche grecque, ont adhéré,
en pleine connaissance de cause, au Red Network.
La Plateforme de gauche va probablement appeler à une réunion
publique. L’une des premières choses qu’elle discutera est notre
solution alternative. La grande question que Tsipras a publiquement
posée au Parlement est la suivante: si vous n’exprimez pas votre accord
aux propositions, quelle est votre alternative? Il a déclaré que sans
accord avec les créanciers, le seul résultat est la banqueroute et la
panique.
La Plateforme de gauche a avancé des propositions en faveur de la
nationalisation des banques et pour le contrôle des capitaux ainsi que
bien d’autres objectifs. Cela pourrait être une réponse à la question de
Tsipras.
Au-delà de ça, il y a d’autres questions réelles. Au sein des
sections locales de Syriza, la question est de savoir ce qui peut être
fait et comment le faire. Des secteurs de la population de Grèce
observent ces discussions et attendent les résultats de cette lutte et
de cette bataille au sein de Syriza.
En même temps, les partis de droite tentent d’exploiter les divisions au sein de Syriza.
C’était ouvert lors des débats au Parlement sur les mesures
d’austérité. Vangelis Meimarakis, le nouveau dirigeant du parti
conservateur Nouvelle Démocratie [qui remplace Antonis Samaras, l’ancien
premier ministre, qui a démissionné suite au résultat du référendum], a
défié Tsipras. Il a déclaré que Tsipras ne pouvait considérer obtenir
des votes de l’opposition sur toutes les questions difficiles tout en
ayant des gens au sein de son propre parti qui votent contre elles, tout
en continuant à avoir une coalition gouvernementale composée
exclusivement de Syriza et d’ANEL pour appliquer ces mesures. Meimarakis
faisant clairement appel à un gouvernement d’unité nationale qui
comprendrait la Nouvelle Démocratie.
Evangelos Venizelos, l’ancien dirigeant du parti «socialiste» PASOK, a
aussi demandé instamment que les ministres de Tsipras signent la
législation permettant les mesures d’austérité. Il l’a fait en sachant
que Lafazanis et d’autres ne signeraient pas un tel document.
Après la fin du vote parlementaire, à 4 heures du matin, le principal
porte-parole de Syriza a fait une déclaration à la presse exprimant
trois choses: la première que le gouvernement était parvenu à faire
passer l’accord et que la tâche difficile désormais sera de l’appliquer.
La deuxième: qu’il y aura de grands bouleversements au sein de Syriza
pour régler les comptes avec les députés qui n’avaient pas voté «oui».
Le troisième point que cela serait achevé aux alentours du mois
d’octobre, ce que les journalistes ont pris comme étant une suggestion
que de nouvelles élections auraient lieu à ce moment.
Nous allons voir ce qui se passe au cours des prochains jours. Ce
nouveau Mémorandum – qui fait suite aux accords de 2010 et 2012 –
signifie une énorme augmentation des prix d’un grand nombre de biens. Il
augmentera les impôts. Et il contient de nombreuses mesures très
difficiles, telles que l’augmentation des années de travail avant de
pouvoir partir à la retraite et de recevoir une rente. Il y a ensuite
des privatisations supplémentaires des services et des biens de l’Etat.
Pour Syriza, toutes ces mesures reviennent à couper la branche sur
laquelle la coalition de «gauche radicale» est assise. Si cette branche
est coupée, la coalition, sous sa forme actuelle, s’écroule. Il est
difficile de prédire ce qui va se passer maintenant pour Syriza.
Certains membres dirigeants parlent non seulement de réunir le Comité
central, mais aussi un Congrès du parti.
Est-il aussi possible que les médias
dominants, qui encensent Tsipras aujourd’hui comme grand chef d’Etat
pour avoir fait adopter l’accord, tenteront de le démolir demain.
Une semaine avant le référendum Tsipras était dénoncé par les médias
de masse comme un aventurier désireux de risquer le pays et ses
finances. Il est désormais vu comme un homme réaliste. Le problème
maintenant, pour les médias, est l’opposition de gauche de Syriza. Les
thèmes sont: ils veulent abandonner l’euro pour la drachme et ils disent
des choses complètement folles.
Mais tu as raison, au cours des prochaines semaines les médias
pourraient tenter de descendre à nouveau Tsipras. Cela dépendra de
quelle est leur cible.
Dans le sillage du vote
parlementaire, certains à gauche, y compris le Parti communiste grec
(KKE) et des secteurs d’Antarsya, la coalition anticapitaliste,
affirment qu’ils étaient justifiés d’être demeurés en dehors de Syriza.
La capitulation de Tsipras, disent-ils, démontre que Syriza est
réformiste et destinée à se vendre.
C’est une bêtise. Bien sûr, Tsipras s’est couché sous la pression des
grands pays européens et devant les officiels européens. Mais, dans le
même temps, il y a la majorité du Comité central et une bonne partie des
député·e·s qui résistent contre cela. L’espoir des gens les plus
attentifs actuellement est qu’ils verront ce qui se passe au sein de
Syriza et y trouveront une solution.
Vous pouvez dire que les réformistes vont toujours nous trahir, et
que tout cela se terminera mal. Vous pouvez rester au dehors et être
purs. Mais observez le KKE. Il a combattu constamment Syriza et refusé
de soutenir OXI lors du référendum. Les statistiques électorales
indiquent pourtant que les trois quarts des sympathisants du KKE ont
voté contre la ligne du parti de gâcher leurs votes [en votant deux fois
non, annulant le vote] et, au lieu de cela, ont soutenu l’appel de
Syriza à voter OXI.
L’un des résultats du référendum a été que la confiance de la classe
laborieuse en elle-même est bien plus élevée et que les illusions au
sujet de l’Union européenne et de l’Eurozone sont bien plus faibles.
Cela donnera plus de force à la gauche dans les luttes à venir, dans et
au-dehors de Syriza. Et cette confiance est le résultat de ce qui s’est
passé au sein de Syriza, en parallèle avec des sections de la gauche en
dehors de celle-ci, y compris des parties d’Antarsya.
Si vous voulez parler en termes de tradition socialiste
révolutionnaire, l’approche du front unique est une approche correcte
dans le cadre grec, y compris pour modifier les rapports de force au
sein de la coalition Syriza. Vous constituez un front commun avec les
réformistes (ce qui a été le cas dans Syriza qui est une coalition) et
des secteurs de la classe laborieuse qui peuvent avoir des illusions
quant aux possibilités de réformes et alors vous vous battez, dans le
cadre des mobilisations et propositions pour les gagner à des positions
faisant ressortir la conflictualité de classe propre à la situation.
Vous ne restez pas juste de côté et dite: «Ce sont des réformistes et
ils vous trahiront.»
Nous ne savons pas comment les choses vont se dérouler dans les jours
et semaines à venir, mais nous ferons de notre mieux pour combattre
pour la gauche.
(Traduction A l’Encontre, entretien publié le 20 juillet 2015 sur le site SocialistWorker.org; légère édition du texte après discussion avec Sotiris Martalis)
source : http://alencontre.org/europe/grece-la-lutte-pour-lame-de-syriza.html